l’air du temps

Par Bonnie Colin

Entendu il y a quelques jours au « Fou du Roi » dans la bouche de Mathilde Seigner qu’elle avait envie de réaliser une comédie sur la maternité et la difficulté d’être mère. Après Florence Foresti, c’est elle maintenant qui veut s’y attaquer. Cela m’a mise en joie: lever ce tabou judéo-Chrétien niais et bien-pensant que l’enfantement est un accomplissement, oser dire tout haut ce que tant de mamans pensent tout bas, rire des larmes qui coulent secrètement la nuit, quand épuisée, la nouvelle maman se lève pour aller voir pourquoi son bébé pleure, parce que oui c’est le bonheur, mais ce sont aussi des petites nuits, des cernes jusqu’au menton, un corps de mammifère, des pleurs, les couches, le biberon, le dodo -est-ce qu’il fait ses nuits?- et le papa, le papa… J’ai ri quand Mathilde Seignier a dit: « Des fois, on a envie de le mettre au congélo tellement on n’en peut plus », j’ai ri encore quand elle a évoqué la fatigue, l’allaitement… Et puis quelques heures plus tard, cela m’a gênée.

Dans un certain milieu -et heureusement! ce n’est plus dans l’air du temps de se parler entre Mamans à la sortie des parcs et de se dire avec un grand sourire béat: « oh mais quel bonheur, quel bonheur! », d’aspirer à des après-midi conférences sur « la peau sèche de bébé », de trouver que le temps passe trop vite, mais plutôt de regarder derrière en se disant « ouf, c’est fini ». C’est dans l’air du temps de dire qu’être Maman, ce n’est pas du tout aussi beau que ce qu’on en raconte. Atroce, épuisant, harassant… ça y va à coup de formules trash, de raccourcis, de lamentations au sujet du « père qui ne se rend pas compte », de fous-rires entre filles autour d’une bière, d’anecdotes sur le fil du rasoir… « Bon, je te laisse, je vais retrouver mes chiards » ou « je te rappelle quand mes nains sont couchés » ou encore « putain, mais pourquoi j’ai voulu en faire un deuxième? » Et on rit de l’absurdité routinière de nos vies. De nos jambes tremblantes le premier soir où nous sommes ressorties en tête à tête avec notre amoureux, de l’envie de se remettre à fumer pour se sentir de nouveau « Femme »…

Qui avouera la vraie fragilité dans laquelle cela nous plonge? Le désarroi face à tant d’inconnues, l’horreur de ce corps déformé, de nos seins qui suintent le lait, de cet enfant fragile qu’on veut avant tout protéger et qui nous pousse et nous oblige à vivre à son rythme. Malgré tout. Malgré nous. Il n’y a plus que son souffle, son coeur qui bat indépendamment du nôtre mais pour lequel le nôtre pourrait s’arrêter à tout moment. Cet instinct… Ce controversé instinct -non! pas maternel mais animal qui a fait jour dès l’instant où notre merveille a inspiré sa première bouffée d’oxygène. Cet invincible instinct qui contredit tout ce le siècle dernier a forgé au gré de notre culture, cette indépendance et cette égalité encore si fragiles.

Oui l’enfant qui vient au monde bouleverse. Il nous renvoie à cet ancêtre animal qui sommeille en nous, vieille lionne aux babines retroussées qui avant de s’alimenter s’assure que ses petits vont bien… Nul prédateur à l’horizon, suffisamment de réserve pour les nourrir encore trois jours, Papa dort, mais l’heure venue, il ira chasser la gazelle pour nourrir la famille. On ne s’endort jamais avant d’entendre sa respiration battre au rythme de la nuit. On se réveille une seconde avant ses premiers cris pour manger la nuit. On ne compte plus les heures, les têtées, les pleurs, les baisers. Plus rien ne compte d’ailleurs à part lui. Le bébé. Et son bien être.

Oui quand on aime travailler on veut vite reprendre. Mais plus rien ne peut se faire comme avant. Même si on s’est toujours battu pour que personne ne fasse de distinction malencontreuse et insupportable de sexe, on ne peut plus rien faire sans penser à l’heure du retour, la popotte, la nounou, le doudou, le caca… Tout ce vocable hideux et routinier, qui par sa simple répétition nous rappelle à quel point il fait partie de notre quotidien: « elle a bien fait popo ma poupoune avant de faire dodo? »

J’ai rêvé de reprendre le reportage avec ma fille sous le bras. L’emmener vivre ma passion sans que cela ne choque personne. Comment justifier que tu ne pourras pas aller à tel rendez-vous parce que tu dois garder ta fille? Comment venir à une réunion le bébé au sein sans choquer? Et à l’inverse, comment laisser entendre que ce soir on est fatigué, et qu’on ne peut pas, non, on ne veut pas la coucher ce soir. TROP. Qui dira sans gêne qu’elle a couché son petit à 8 heures parce qu’elle n’en pouvait plus? Qu’elle avait envie de silence, de voir son mari la regarder dans les yeux, la trouver belle et désirable? Croire le temps d’une soirée qu’on pourra faire n’importe quoi… Et croire que la liberté c’est faire n’importe quoi!

Alors on se déchaîne entre copines et on se fait croire qu’on n’est pas complètement prises au piège. Même pas mal, même pas vrai, moi, je suis pas une débile maman gaga prête à tout pour son petit! Non, je n’ai pas renoncé à ma liberté et à mes pouvoirs de séduction! Et même que j’arrive encore à plaire à mon mec! Ah, mais si vous saviez messieurs combien nous avons peur! Et combien on cherche en permanence à s’assurer que la fonction de mère est compatible avec celle de femme! Voilà aussi pourquoi on pense qu’en osant crier que c’est difficile, on est plus fortes, plus émancipées que les autres. Que la lutte continue et que non, non non, ce n’est pas un « chiard » qui nous changera!

Et pourtant, c’est ma fille qui me fait trouver tant d’énergie. C’est elle qui démultiplie mes envies. C’est elle qui me fait réfléchir, changer d’avis, changer de vie et d’habitudes. C’est ce petit être qui m’a fait m’oublier à son profit. Elle a pris sa place, bouleversé mes codes et mes envies. Je me suis enracinée, j’ai accepté de ne plus être au coeur de mes préoccupations, j’ai changé de métier et de façons de le dire. Je suis devenue moins absolue. Et mes premières rides sont apparues.

Alors oui, je veux bien qu’on rie et qu’on ose avoir des mots politiquement incorrects sur la douleur d’être mère -c’est même essentiel! mais pensons aussi que la douleur tient peut-être au fait que c’est l’accès à la prise de conscience de notre propre fin.

8 Réponses to “l’air du temps”

  1. DAZARD Anne-Sophie Says:

    Ma chère Elsa,

    Tu écris vraiment bien…continue ma belle, c’est bien agréable, et je crois utile pour de vrais moments de partage…

    Je n’ai pas la joie d’être maman, et ne connais pas le désagrément d’être réveillée par les pleurs d’un enfant, mais je veux bien vous croire, chères mamans, parfois désamparées devant ces « himalayas » de « pleins » et de « vides »…complexité de la maternité oblige!

    Au bout du compte, j’imagine bien néanmoins , que sérénité et épouissement l’emportent, que de profondes « béatitudes » comblent le coeur d’une maman, émue et attendrie par : le premier sourire de bébé, ses premiers mots, ses premiers pas…et, tout le reste à venir…Ces événements premiers de la vie sont un tel ravissement, qu’ils ne peuvent que border la vie de merveilleuses promesses, de tendres et doux souvenirs…

    Devenir mère, un rêve avec ses réalités parfois cruelles, des « cicatrices » de joies ou de peines pour toute la vie…une belle aventure !
    …et, encore des pages à écrire…!

    Je t’embrasse avec affection,

    Anne-Sophie

  2. Heusslein-Gire Danièle Says:

    merci de nous avoir adressé ce très beau texte. Il permet de te connaître un peu plus encore et j’aime bien. Je suis sure que tu es et que tu seras une mère « idéale » ….. avec un bébé délicieux et un super-père .. baisers Danièle

  3. durand Says:

    Société d’enfants gâtés qui n’ont pas souvent entendu dire « non! ».

    Incapables de devenir adultes malgré qu’ils soient devenus parents.

    Le constat vous parait sévère? J’ai pourtant la conviction que c’est cela le problème, j’observe beaucoup…

    Enfance malheureuse pour moi. Venues de mes enfants : bonheur total. Des contraintes acceptées comme étant tout à fait normales parce que la vie est comme ça, y’a des contraintes!

  4. Edith Says:

    Si, pourtant, on a été prévenu(es), dans l’ancien testament, il est écrit « Tu enfanteras dans la douleur » On n’a juste pas compris, élever un enfant c’est difficile et contraignant, les miens m’ont « juste » gardée en vie… C’est déjà pas mal… Courage, y’en a plus que pour… Toute la vie 😉

  5. elo Says:

    Je suis très émue par ton article.
    J’essaye moi mm d’avoir un enfant, et forcément on réfléchit beaucoup, on imagine ce qu’on ne peut imaginer sans le vivre…
    Ton article me rappelle ma belle soeur me dire à la naissance de ma nièce » donner naissance c’est une porte insoupçonnée sur la vie à venir, pleine de magie, mais c’est aussi savoir que l’on donne la mort », et toutes les secondes ne seront plus jamais pareil…on veille pour que la vie de notre enfant, soit la plus belle et la plus longue possible.
    merci Elsa pour tes mots, et bravo pour ton talent d’auteur.

  6. beatrice Says:

    Merci pour ce texte qui illustre bien le fouillis qu’on a dans nos tête. Et en plus on en redemande. Pourquoi cette envie, cette volonté, cet instinct de se mettre en danger émotionnellement parlant ? Avant de les avoir on ignorait la somme de questions qu’on aurait à se poser sur la vie en générale et nos choix en particulier. Ne serait-ce pas parce que les enfants sont le miroir de nous mêmes ? Ils nous révèlent avec nos côtés pas toujours merveilleux, notre bonne volonté réelle mais pas toujours endurante. ils nous épuisent et nous rendent meilleurs.
    et puis, quand on a goûté à la puissance de ce philtre d’amour qui nous unit à eux, il est difficile de s’arrêter. Pour moi, à 5, je me suis dit stop : j’atteins mon niveau d’incompétence. Alors que l’aînée, à peine née d’hier, me semble-t-il vient de quitter la maison pour ses études, je savoure ce dialogue d’adultes que nous avons entamé : encore un trésor inattendu à découvrir.
    c’est géant.
    B

  7. Katine Petit Says:

    Rhoulala oui c’est bien tout ça la Vie-pleine-de-vie avec nos Zenfants de l’amôur !!
    J’adôôôre !!!
    C’est tout simplement magique.
    La fatigue ? oui biensûr, comme pour tout, mais ô combien de petits et grands Bonheurs dans ce monde de brute!
    J’envoie un millier d’ondes +++ pour toutes les couples en attente d’un ti bibou à chérir.

  8. MadredelSol Says:

    Chere Elsa… Ils te tutoient tous, comme Prevert certainement parce qu’ils t’aiment. Je les imite donc… Tu as du adorer le dernier bouquin de Mme Badinter. Je repense a l’allaitement. Quel esclavage mais j’ai aime ca. Maintenant je me demande si ce n’est pas la societe qui m’a dit  »Aime ca, c’est bon pour tes minots » (chez moi chiard se dit minot, voire niston)…

    Mes petits, c’est si peu dire que je les aime pour paraphraser Aragon, mais alors parfois j’aimerais pouvoir appuyer sur pause, comme dans la pub. Pas une seconde pour le boulot, telle que tu me lis j’ai 40 copies a corriger… pas moyen, faut attendre le soir. Et contrairement a toi, chez moi, le pere est la une fois sur deux et quand il est la, plus visse a l’ordinateur qu’autre chose… Et pourtant, je les regarde jouer ensemble et j’essaie de me rappeler la vie d’avant…

    Le deux pieces ou on vivait etudiants dans le XIeme de Paris, les soirees  »boire et deboires », les cinemas rue Danton et autres St Michel, les matins embues sans sacs de nounous a preparer, sans biberons a chauffer, sans minutage avant le fatal reveil… Tu essaies parfois? Moi j’ai l’impression que c’est il y a des siecles. De la folie. La je suis en train de me battre avec l’aine pour qu’il fasse ses devois de vacances alos que j’aimerais m’etaler devant la tele comme une vieille masse. Es la vidad mi querida.

    Allez, guapa, permets-moi cette petite familiarite fraternelle. Je suis avec toi pour tout. On est avec toi.

    Hasta siempre

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